Mon boss est nul... et j'me soigne...

Trente-quatre ans. C’est l’âge que j’avais lorsque le burn out est venu sonner à ma porte.

Bon, non, ok, c’est vrai, il n’a pas pris la peine de vraiment sonner avant d’entrer. Il a plutôt défoncé la porte, d’un coup d’un seul, comme l’aurait fait un policier de la BAC venant cueillir à l’aube un dealer notoirement renommé. Il m’a plaquée au sol et m’a gardée à vue quelques heures avant de finalement me laisser libre.

Enfin, sous liberté surveillée, des fois que me prenne l’envie de recommencer.

 

Alors soit, je n’ai jamais fait de quelconque trafic, en réalité (si on omet celui des billes dans la cour de récré, mais c’était dans les années 80, il y a prescription, non ?). Non, ma seule drogue à moi, durant des années, c’était l’amour du travail – trop – bien fait. C’est drôle d’ailleurs. Oui, c’est drôle de voir à quel point l’amour déraisonné peut nous faire chavirer… jusqu’à nous faire sombrer. Elle coule, elle coule, la maladie d’amour…

 

« Il ne faut pas attendre d’être parfait pour commercer quelque chose de bien. » Abbé Pierre

 

J’aimais mon travail, c’est un fait. Depuis toujours, je l’adorais, même. Mais lui, je l’aimais beaucoup moins. Lui, celui qui me dictait ce que je devais faire. Était-ce parce que sa façon de dicter était imprécise ? Très certainement. 

 

Imaginez un peu, une dictée dans laquelle on oublie de faire les liaisons. Où la ponctuation est absente, hormis celle servant à l’exclamation. Une exclamation un peu trop récurrente, d’ailleurs. Du genre à rendre le discours littéralement inaudible même aux oreilles des plus aguerris. Pas de quoi faire une bonne retranscription des messages adressés. Et pas de quoi donner envie aux autres de les entendre, encore moins de les écouter. Ne parlons même pas de les appliquer.

 

Pourtant, moi, durant plusieurs mois, je me suis appliquée. Impliquée, même. Une – trop – grande implication, pour tenter d’éviter la contagion. Éviter que se généralise l’épidémie. L’environnement était touché et, dans notre écosystème, l’espèce, en voie de disparition. 

 

Ça n’avait pas l’air de le perturber, lui. Mais alors, c’était peut-être ça, finalement, le problème ? Peut-être qu’il ne se rendait tout simplement pas compte de la situation ? 

 

« A force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Edgar Morin

 

Et puis un jour, il y a bientôt trois ans de cela, celui qui deviendra quelques mois plus tard mon ami, eu la grande idée d’écrire ce qu’au fond, je pensais, sans réellement vouloir l’affirmer : « Mon boss est nul, mais j’le soigne ». C’était aussi drôle que déroutant, parce que, jusqu’à preuve du contraire, il n’avait jamais été amené à travailler avec celui qui me rendait la vie si dure. Et pourtant, il m’en parlait comme s’il le connaissait. C’était aussi passionnant qu’inquiétant. Aussi dément qu’inspirant.

 

Alors malheureusement, au bout d’un moment, cela ne m’empêcha pas de couler. J’avais trouvé le remède un poil trop tard. Je passai alors à un constat aussi clair qu’amer : « Mon boss est nul, et j’me soigne ».

 

Fort heureusement, le traitement fut pris sans traîner et les bonnes résolutions arrivèrent à point nommé.

 

C’était il y a bientôt trois ans. Depuis, je vais très bien (et ça, Gaël, je t’en remercie) et si aujourd’hui encore j’aime écouter une dictée, c’est celle de cette petite voix qui est là, en moi, et qui me dit que dans la vie, il ne faut jamais cesser d’y croire. 

Car finalement, l’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.

 

« Mais alors, dit Alice, si le monde n’a aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? »  - Lewis Carroll - Alice au pays des merveilles

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