
On peut parfois penser que ce bien-être au travail dont je parle si souvent n'est qu'une mode que je suis, comme ça, parce que c'est dans l'air du temps et que c'est cool! Pourtant, non. Mon histoire est celle de beaucoup d'autres, qui n'osent pas toujours en parler. Par peur. Par honte. Ou parce qu'ils ne se rendent simplement pas compte qu'ils sont dans cette situation. Mon histoire, aujourd'hui, j'ai pris la décision de la raconter au grand jour. Parce qu'il est important, comme tous ces traumatismes que nous pouvons être amenés à vivre, d'en parler. Pour soi. Et pour les autres...
C’était il y a deux ans. Là, allongée dans mon lit, la radio matinale en fond sonore, les larmes coulaient. Pas quelques larmes d’une émotion légère disparaissant aussi vite qu’elle serait apparue, non. Quand je fais les choses, j’aime les faire en grand, voyons.
Un torrent de larmes. La sensation de couler à pic dans ce corps inondé de tristesse, de désarroi. Je suis un bateau, non, un bateau c’est trop beau, ça vogue calmement, ça se tient droit. Je suis plutôt une vieille barque cabossée qui dérive et dont l’ancre bien abîmée semble ne jamais pouvoir être réparée.
Je ne sais pas pourquoi je pleure, alors les larmes redoublent. Ah, la générosité des glandes lacrymales. Ce corps pourtant habituellement si agile ne répond plus. J’ordonne à mes jambes de bouger pour me porter, mais pas un millimètre ne réagit. Plus rien ne répond, comme si là, à l’intérieur, tout était mort.
Heureusement pour moi, j’arrive à tendre un bras. Juste assez pour attraper ce téléphone dont je ne me sépare jamais. Cet objet qui a pris cette place si importante dans ma vie. J’ai 8 sms de mes proches reçus et laissés sans réponse depuis plusieurs jours, mais tous mes mails professionnels sont traités eux. A la minute près où je les reçois, je les lis et y réponds ou au moins y réfléchis pour y trouver des éléments de réponse. L’honneur est sauf.
Je voudrais l’appeler, mais ma voix elle aussi semble complètement bloquée. Je n’ai pas la force. Pas la force de crier. D’une main, les yeux embués, je lance un texto d’au secours. « Je ne sais pas ce que j’ai, je ne peux pas me lever et je n’arrête pas de pleurer. »
J’entends la porte de la salle de bain s’ouvrir. Le bruit de la main qui se saisit du téléphone posé sur le meuble de l’entrée. Les pas qui s’accélèrent dans l’escalier. La porte de la chambre s’ouvre.
- Qu’est-ce qu’il y a chérie, ça ne va pas ?
- Je ne sais pas, ça ne va pas, je n’arrive pas à m’arrêter de pleurer. Je suis fatiguée, si fatiguée…
- Chérie, tu ne peux pas continuer comme ça. Regarde dans quel état tu es. J’ai peur pour toi.
- Oui, tu as certainement raison. Je suis fatiguée. Si fatiguée.
J’ai besoin de le répéter. Comme si le dire allait m’apporter le regain d’énergie que je voudrais voir m’envahir. En vain.
Les minutes passent, dans le silence. Ses yeux dans les miens. Des yeux bleus qui me plongent dans l’abîme. J’y vois le reflet de moi-même, sombrant sous le poids des heures douloureusement accumulées. Je pense à mes filles, qui dorment à poings fermés, là, dans la pièce d'à côté. Que penseraient-elles si elles se levaient et me voyaient dans cet état? A 3 ans et 4 ans et demi, on n'est pas préparé à être confronté à ça. A 34 ans non plus, d'ailleurs.
Je prends une grande respiration entrecoupée par les sanglots, bouge un pied, puis l’autre. Les minutes passent et me semblent des heures. Remue un mollet, puis l’autre. L’effort me paraît surhumain. Une cuisse, et l’autre, enfin. Je redresse tant bien que mal mon buste.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- Je pars travailler.
- Mais, tu penses vraiment y arriver ? Regarde dans quel état tu es !
- Je n’ai pas le choix, je dois y aller.
La douche efface mes larmes et, bouillante, réchauffe ce corps qui tremble, maintenu tant bien que mal sur des jambes fragiles comme du coton et lourdes comme du béton.
Assise dans mon train, puis dans mon rer, je pleure en silence. J’appelle celle qui au quotidien me soutient dans ces journées sans début ni fin, celle avec qui je partage tout. Elle parle, je pleure. Elle est désemparée, cherche comment m’aider, mais je suis là, déboussolée, en souffrance à durée indéterminée.
Le long du boulevard, mon humeur est grise comme les immeubles qui m’entourent. Si habituellement j’ai la matière grise, ce matin j’en ai surtout la mine.
Dans l’ascenseur, mon doigt presse machinalement le bouton qui me mène à l’étage dont je connais chaque recoin par cœur. Plus de dix ans que je reproduis ce geste chaque matin. Plus de dix ans que je voue mon quotidien à ces collègues que j’aime profondément. Eux que je veux tellement voir se sentir bien.
Mais ce matin, en passant la porte de mon bureau, je regarde autour de moi. Je suis là mais mon esprit n’y est pas. Ces longs mois à côtoyer l’extrême inverse de moi, à l’entendre hurler en espérant réussir à ne pas l’écouter, à détester ses actes sans pouvoir les ignorer, à encaisser sans jamais assumer, auront eu raison de moi.
Un seul être vous hante, et tout est chamboulé.
" Dans la vie, on a toujours le choix : aimer ou détester, assumer ou s’enfuir, avouer ou mentir, être soi-même ou faire semblant."
Nelson Mandela
Il a raison, ce bon vieux Mandela. Alors ce matin-là, toute seule, plantée là, je fais un choix. Mon choix. Celui d’œuvrer pour ce en quoi je crois. Celui d’être fidèle à ce que j’ai de plus précieux et qui est toujours resté en moi : mes valeurs.
Je m’assois alors, et j’écris ce mail qui, en une fraction de secondes, me redonne l’air qui me manquait. Le sang semble circuler à nouveau dans mes jambes. Mon esprit devient si léger, mes yeux pétillent d’un coup de larmes de joie. C’est officiel, j’arrête. Je vais me consacrer à ce que j’aime faire le plus. A ce qu’apparemment, selon les collaborateurs que je côtoie, je fais de mieux, depuis maintenant seize années. A ce qui aura une utilité pour le plus grand nombre et qui sera en phase avec mes valeurs : m’occuper d’améliorer la Qualité de Vie au Travail. Parce que la base de cela, finalement, ce sont des valeurs humaines à partager. A développer. A faire rayonner.
Mon burn-out aura peut-être été l’un des plus rapides de l’histoire du burn-out. Un burn-out express, aussi destructeur que révélateur.
C’était il y a deux ans, je m’en souviens très bien. Je me suis levée, suis sortie de mon bureau me servir un café bien noir dans un monde soudainement bien rose et j’ai dit « aujourd’hui est le premier jour du reste de ma vie ».
« On doit prendre les petites décisions avec sa tête et les grandes avec son coeur. »
H. Jackson Brown
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Moyam (jeudi, 24 janvier 2019 13:11)
Bonjour,
Waouh, votre description correspond en tout à ma situation actuelle sauf que je n'ai pas encore eu le courage de m'écouter, d'arrêter de faire semblant, de prendre des coups sans en donner, etc...
Merci pour ce témoignage.
Acceptez-vous d'être une coach de vie ?