Juste une question, mon cher Daesh...

Je suis une femme. Je travaille à temps plein dans une entreprise car ça m’ennuie de rester enfermée chez moi.

J’ai des amis hommes et femmes avec lesquels j’adore discuter et rire autour d’un bon verre de vin et d’une planche de charcuterie-fromage-cornichons, en écoutant quelques morceaux de jazz manouche à la terrasse d’un bar. A une époque j’accompagnais ces moments de détente d’un bon paquet de clopes mais il paraît que ce n’est pas très bon pour la santé donc j’ai arrêté.

J’aime prendre soin de moi et de mon apparence. Du coup, je n’hésite pas à me maquiller pour sortir et à m’habiller au gré des saisons de façon plus ou moins légère. Si tu savais comme on se sent bien en jupe courte quand il fait chaud !

J’aime les tatouages et les piercings au point qu’ils parsèment ça et là mon corps. Non, je ne te dirai pas où, petit coquin ! Je suis une femme mariée voyons ! Ah oui, car il faut que je te dise aussi… j’ai un mari. Il est adorable, à l’écoute et serviable. Il m’aide même à faire la vaisselle et à plier le linge.

Avant de le connaître, j’ai testé pas mal de garçons pour trouver celui qui me correspondrait le mieux, y compris sexuellement. J’en ai eu des blancs et des noirs. Il y a eu des catholiques, des musulmans, des juifs et des protestants. J’ai même pensé à comparer avec des filles pour être certaine de faire le bon choix mais je n’ai pas trouvé la bonne. Pourtant niveau roulage de pelle elles assuraient grave.

J’ai des enfants. Ils n'ont pas été baptisés parce que je suis athée et que je n’aime pas le principe de leur imposer une quelconque croyance. Bon, si, ok, je l'avoue, les seules que je m’autorise à leur transmettre ce sont celles du Père Noël et des cloches de Pâques. Parce que j’adore faire des cadeaux et puis manger du chocolat aussi. Je leur apprends à dessiner, à chanter et à danser. D’ailleurs, elles adorent ça, danser.

 

Danser. C’est ce que devait être en train de faire Elodie ce vendredi 13 novembre quand tu es venu lui signifier que la fête était finie en plein cœur du Bataclan. Je ne l’avais pas revue depuis plusieurs années mais je l’avais connue lorsqu’elle était enfant et c’était vraiment une chouette gamine. Je pourrais te raconter plein de souvenirs que j’ai d’elle et de ses parents mais je dois t’avouer que je n’ai pas le cœur à ça. Parce qu’en fait, tu vois, je suis un peu turlupinée depuis ce vendredi où tu l’as assassinée, elle et ses 128 autres compagnons de soirée. Je me pose quelques questions à ton sujet. Du coup, je me suis dit qu’il serait bien que je te les pose directement.

 

Alors dis-moi, c’était quoi le problème pour toi au Bataclan ? Est-ce que la musique était trop forte à ton goût ? Franchement, des querelles de voisinage pour quelques décibels en trop ça peut arriver, mais à ce point-là mon cher Daesh t’abuses un peu. En plus, le vendredi soir, on est plus tolérant parce que pour beaucoup d’entre nous la semaine de boulot est finie. La tolérance, voilà peut-être une qualité qui te fait défaut.

 

Ah, ou alors, tu n’avais pas été invité et tu étais frustré ? Tu sais, nous les Français, on adore faire la fête et on a le cœur sur la main. Si tu voulais entrer et participer il suffisait de demander gentiment. Parce que tu sais, nous, on aime tout le monde. On a tous des amis de toutes origines et toutes confessions religieuses. Et ce que l’on aime par-dessus tout, c’est profiter de la beauté de la vie tous ensemble. Le partage, voilà encore une qualité qui semble te manquer.

 

Concernant les amis de mes amis à qui tu t’en es pris en terrasse, pardonne-moi encore une fois si je me permets de te poser quelques questions, mais là-non plus je n’ai pas bien compris ta réaction. Qu’est-ce qui t’a chagriné ? Il n’y avait plus de table de libre pour que tu t’installes pour boire un verre ? Franchement, tu aurais dû demander s’il ne restait pas une petite place, je suis persuadée qu’on aurait rajouté une table pour toi. Le patron aurait pu t’en sortir une de derrière les fagots. Au pire, s’il n’y avait vraiment plus eu de table de dispo, on t’aurait trouvé une chaise pour que tu puisses t’installer tranquille. Chez nous, ça s’appelle la générosité, encore un mot que tu ne sembles pas connaître.

 

Enfin, pour ta venue au Stade de France, sincèrement ce n’était pas la peine de t’énerver comme ça. La règle c’est la règle. Pas de bouteilles et pas d’objets dangereux dans l’enceinte du Stade. T’es un peu colérique hein. Même Hulk il ne fait pas autant d’histoires quand il est contrarié, pourtant Dieu sait combien il peut parfois devenir vert de rage le gars.

 

D’ailleurs, justement, à ce sujet, je suis navrée, je dois être limitée dans ma ptite tête, mais j’ai du mal à comprendre… Comment il s’appelle exactement ton Dieu à toi ? Je me dis que j’ai dû mal entendre son nom quand tu me l’as dit l’autre jour à travers ta revendication. Parce que moi j’ai plein d’amis musulmans, leur Dieu il porte le même nom que le tien mais il ne leur a pas, mais alors pas du tout transmis le même message qu’à toi dans son livre sacré. Si, si, je t’assure que c’est vrai. Je te donne juste un exemple, comme ça. Le Coran, sourate 6, verset 151 : « Ne tuez pas la personne humaine, car Allah l’a déclarée sacrée ».

 

Tu vois, mon cher Daesh, je suis déçue. Je suis déçue parce que je pensais que tu avais compris depuis ce 11 janvier 2015 où déjà t’avais vraiment exagéré, que tu étais dans le faux. Que nous n’étions pas des mécréants, des infidèles ou des dépravés. Mais je m’aperçois qu’en réalité t’as toujours pas percuté. T’as pas percuté à quel point tu t’es fait berner par un mec qui t’a promis la lumière alors qu’il va te conduire tout droit en enfer. Et tu sais quoi ? L’enfer c’est les autres comme l’avait dit ce bon vieux Sartre. Et les autres, c’est nous. Nous tous. Français. Anglais. Chinois. Ouzbeks. Marocains. Indiens. Africains. Australiens. Et tous les autres. L’enfer c’est le Monde. Le Monde qui va t’enterrer. Le Monde qui va continuer à vivre libre. Accroche-toi parce que tu vas voir des choses pas jolies jolies. Tu vas voir des gens heureux. Des gens qui rient. Des gens qui dînent. Des gens qui boivent. Des gens qui baisent. Tu vas voir des fleurs, des tableaux, des dessins, des couleurs, plein de couleurs. Tu vas voir

des femmes seins nus sur la plage et des hommes qui embrassent d’autres hommes. Tu vas voir des gens chanter, des gens danser, et même des gens chanter et danser en même temps. Tu vas sentir le parfum enivrant de l’amitié, de la solidarité, de l’amour. Tu vas voir la vie. La liberté. L’égalité. La fraternité.

 

Adieu mon cher Daesh. Que l’enfer te soit insupportable. Tu ne mérites que ça.