
Je n’ai jamais eu l’ambition, ni même simplement l’envie féroce de faire des études. Disons pour être plus précis que le peu de fois où
j’ai approché un métier qui me donnait envie de l’exercer une fois adulte, je me suis rendue compte que les études demandées étaient bien au-dessus de ce que je pouvais me permettre de faire. Graphologue : 5 ans après le bac.
Professeur d’allemand : études + concours.
Magicienne : cursus tellement compliqué que l’on préfère vous dire que ce n’est pas un métier. Quoi ? Bien sûr que c’est un métier magicienne ! Mais si ! Hey ho m’énervez pas sinon j’appelle Copperfield et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire tarte aux myrtilles il vous aura fait monter à bord du Titanic et vous serez en
train de de vous envoler vers Mars.
Bref. Me trouvant dans un contexte familial tendu, la priorité était que je quitte rapidement le nid pour voler de mes propres ailes.
Mais pour cela, encore me fallait-il un revenu régulier, et donc un travail. Forcément, lorsque pour tout bagage vous n’avez que deux valises et trois sacs à dos, le tri est vite fait dans les métiers que vous pouvez essayer d’exercer et donc dans les offres auxquelles vous pouvez postuler. En ce qui me concerne, c’était il y a 15 ans jour pour jour (happy birthday to meeeeee, happy birthday to meeeeeeeeeee !). Le journal « l’Hôtellerie »
dans une main, un grand café au lait dans l’autre, assise en tailleur sur mon lit une place de ma chambre d’ado chez mes parents, du haut de mes 18 ans et demi (l'adolescence peut durer longtemps parfois), j’étais bien décidée à décrocher un job, un vrai. Vous savez, ce genre de job merveilleusement épanouissant et extrêmement bien rémunéré dont on a tous rêvé au moins une fois dans sa vie. Avec hargne, courage et volonté, j’ai téléphoné au numéro indiqué sur l’annonce. Je me suis présentée à l’entretien fixé le lendemain. J’ai vanté mes merveilleuses et innombrables qualités, démontré mes incroyables compétences linguistiques. Fait mon plus beau sourire et croisé les doigts si fort sous la table de la salle de réunion que j’avais des fourmis dans les mains à la sortie. Deux heures plus tard je recevais l’appel tant attendu : j’avais décroché le boulot. Un CDI à temps plein. Au 48ème étage de la Tour Montparnasse. Hôtesse d’accueil standardiste trilingue. Le SMIC. Génial. Super. A moi la fortune quoi.
A cette époque-là, les personnes côtoyées dans le cadre du travail me répétaient toutes la même chose : « Mais tu ne vas quand même pas faire ça TOUTE ta vie ? Tu devrais VRAIMENT reprendre tes études. Les études c’est TELLEMENTTTTT important ma chérie ! ». Toutes ces personnes avaient eu la chance de pouvoir faire des études. Et c’est marrant mais elles avaient malgré leur cursus beaucoup de mal à intégrer une information pourtant très simple à comprendre à mon sens : je ne pouvais
pas me permettre de reprendre mes études parce que je devais absolument bosser pour me payer mon loyer.
Malgré mon bac -3 mois, j’ai petit à petit réussi à évoluer dans l’entreprise, en rencontrant quelques personnes formidables qui m’ont appris bien plus que ce que j’aurais pu apprendre sur les bancs de l’école et qui ont su me faire confiance. Durant ces années où j’ai évolué jusqu’à devenir l’assistante de Direction que je suis aujourd’hui, je me suis souvent dit qu’il faudrait que j’arrive à faire reconnaître mon expérience et mes compétences officiellement. La crise se profilait et si j’en venais à perdre mon boulot, mon expérience ne suffirait peut-être pas pour trouver un nouvel emploi. Bah oui, vous savez, en France on est comme ça. On peut démontrer qu’on a bossé pendant vingt ans comme des dingues et que l’on a acquis les compétences qui vont bien pour faire tel ou tel job, si on n’a pas le bout de papier qui prouve qu’on a bien gardé nos fesses posées dans une classe pendant plusieurs années et qu’on a obtenu LE diplôme qu’il faut, on est relégué au rang de ceux que l’on remercie d’avoir
porté intérêt à l’annonce numéro 2218 et que l’on ne retiendra pas pour ce poste mais que l’on ne manquera pas de recontacter si jamais bla bla bla bla bla bla…
J’avais entendu parler de la Validation des Acquis de l’Expérience qui permettait, sous réserve de justifier d’un certain nombre d’années d’expérience dans des métiers ayant un rapport avec le diplôme visé, d’obtenir le fameux bout de papier de la part du rectorat et d’être enfin quelqu’un de bien (juste quelqu’unnnnnn de bien, quelqu’un de biennnnn... Hum hum Enzo Enzo sors de ce corps!).
Bon, je ne vous cache pas que j’ai bien mis au moins cinq ans à mûrir mon projet dans ma tête. Oui, il m’a fallu cinq ans pour me convaincre que :
-
Ca valait la peine de passer un an à bosser comme une tarée sur un dossier de VAE en plus de mon boulot à temps plein
- Un diplôme serait une vraie valeur ajoutée dans mon CV aux quinze années de dur labeur
- Oui j’allais bien finir par comprendre comment fonctionnait ce putain de référentiel du diplôme visé, que je n’étais pas plus conne que les autres et que si des centaines de personnes arrivaient victorieuses au bout de leur démarche de VAE chaque année, moi aussi je pouvais le faire (c’est marrant hein mais plus vous avez entendu pendant des années qu’il faudrait vraiment que vous ayez un diplôme parce que sans diplôme vous n’êtes rien et plus vous vous en persuadez sans vous en rendre compte – que vous êtes bonne à rien, pas que vous devez absolument décrocher un diplôme).
Comme je suis quand même un peu tarée, peut-être même un peu suicidaire, je me suis lancée dans la démarche à 32 ans, juste à la fin de mon congé maternité de ma deuxième princesse, en reprenant mon boulot à temps plein et sans prendre l’option
« accompagnement par un conseiller VAE à 1200 balles » (tout simplement parce que je ne les avais pas les 1200 balles… Si vous voulez savoir pourquoi je ne les avais pas, allez lire mon article sur la possibilité de concilier vie perso et vie pro et vous comprendrez). J’ai donc pris l’option à 7€ (le prix de l’envoi du diplôme à la maison en cas de réussite à l’examen).
Ah, j’oubliais : comme je ne suis pas UN PEU tarée mais TOTALEMENT suicidaire, j’ai décidé de boucler l’ensemble de la démarche en 4 mois au lieu des 12 mois préconisé par l’ensemble des conseillers rencontrés (quand je me lance dans quelque chose il faut que ça aboutisse vite sinon je me lasse et je lâche l’affaire rapidement. Ne vous moquez pas, car je suis sûre que parmi vous qui me lisez en ce moment-même il y en a un paquet qui ont déjà investi plusieurs centaines d’euros dans un abonnement à un club de gym et qui, voyant qu’ils n’avaient pas la tablette de chocolat au bout des deux premiers cours,
ont miraculeusement oublié qu’ils étaient abonnés et n’y ont plus jamais remis les pieds… je me trompe ??)
Fin septembre 2014 je me suis donc lancée. Le but ? Obtenir un BTS assistant de manager, équivalent de l’ancien BTS assistante de Direction trilingue. J’ai constitué mon "livret 1" comme ils appellent ça. C’est un dossier d’une dizaine de pages dans lequel on doit faire une sorte de CV ultra détaillé, permettant de justifier que l’on a bien au moins trois ans d’expérience dans le domaine du diplôme visé. Bah oui, parce que c’est sûr que de se présenter pour obtenir un BP coiffure si on a juste comme expérience les cheveux de la Barbie que l’on coupait quand on était petite ou ceux du mari que l’on tond une fois tous les trois mois, c’est pas gagné.
Cette première étape, qui n’a pourtant rien de bien sorcier, a été une vraie source d’angoisse pour moi. J’avais peur de trop détailler, puis finalement de ne pas l’avoir fait assez, et franchement heureusement que j’ai trouvé quelques blogs bien fournis sur le net qui m’ont permis de me rassurer là-dessus parce que sans le foutu conseiller à 1200€ j’étais seule à la barre du navire et j’avais le mal de mer à peine après avoir commencé à naviguer…
Ce dossier doit normalement être constitué en quelques semaines… moi j’avais juste 5 jours avant la date limite de réception quand je me suis lancée dans l’aventure, sinon ça allait décaler toute ma démarche de 6 mois (il n’y a que deux sessions d’examens, une en janvier-février pour la session printemps-été et une en octobre pour la session automne-hiver). Je l’ai préparé en deux jours, rassemblé tous les documents administratifs obligatoires (je vous rappelle que nous en sommes en France et qu’en France si tu ne fournis pas 12 papiers pour une demande quelle qu'elle soit ce n’est pas recevable tu retournes faire la queue depuis le début !) et envoyé.
Quinze jours plus tard, j’ai reçu la confirmation que j’étais apte à présenter mon livret 2 pour ce BTS. Je n’étais pas mécontente d’avoir franchi cette première étape, en sachant que c’était du pipi de chat par rapport à ce qui m’attendait. Je me suis alors tout de suite lancée dans la constitution de mon "livret 2". Et alors là les gars je peux vous dire que je me suis pris la tête comme ce n’est pas permis pour réussir à définir avec moi-même ce que j’allais mettre dans mon dossier pour démontrer que j’avais les compétences nécessaires dans toutes les finalités du référentiel de ce fichu BTS. Il fallait suivre une trame pré établie
et ne surtout pas sortir du cadre de réponse sous peine d’être recalé, et intégrer dans cette trame…toute ma vie professionnelle en fait ! L’horreur.
Là a commencé un véritable travail de fourmi. Imaginez. Vous devez raconter par écrit tout votre métier, prouver que vous savez faire, être extrêmement précis pour être certain que ça colle bien au diplôme, mais ne surtout pas être à côté des questions dans vos réponses…et ça vu la trame pré remplie, c’était loin d’être gagné.
Trois mois. Ca a duré trois mois. Trois mois durant lesquels je partais aux aurores au bureau pour pouvoir bosser tranquillement dans les transports, avancer sur mes dossiers au bureau de manière hyperactive et condensée afin de me garder du temps sur ma pause déjeuner pour continuer à bosser sur ma VAE, rebelote le soir dans les transports puis après le diner dans le lit avant de me coucher. Pareil les week-ends. Je bossais sur ma VAE pendant que mon cher mari partait courir et que les enfants faisaient la sieste. Trois mois pendant lesquels je n’étais que l’ombre de moi-même. Que des galères au bureau. Les
enfants à gérer, les repas, le quotidien, le mari à ne pas délaisser, la vie qui continuait.
Au bout des trois mois, mon dossier était en passe d’être terminé. Quatre-vingt-dix pages. Quinze années de travail résumées dans ces quatre-vingt-dix pages. Tout allait se jouer sur ce dossier. Je l’ai envoyé. Et j’ai attendu. J’ai attendu quoi ? J’ai attendu de recevoir la convocation officielle à mon grand oral. Mon oral de BTS, devant un jury de professionnels et d’enseignants spécialisés dans mon métier. La date est tombée : c’était la veille de notre départ en vacances au ski. Un peu
plus et j’aurais dû couper mes vacances avec un aller-retour à Paris pour passer mon oral !
A commencé une période de stress intense pour moi que j’ai tenté d’intérioriser autant que possible. Moi, la nana qui n’a passé dans sa vie qu’un seul oral, celui de son bac français en 1ère, allait devoir parler de son métier à un jury d’au moins 4 personnes qui allaient tout faire pour chercher la faille, poser des questions pointues, l’observer et analyser ses réponses. Le flip. The big flip. Quinze jours pour tenter de connaître à la perfection ce dossier sur lequel j’avais passé dans de temps. Quinze jours qui m’ont paru une éternité.
Et le grand jour est arrivé. Direction la maison des examens d’Arcueil. Julien m’accompagnait. Comme par hasard, de gros problèmes de transports sur la ligne de RER que je devais emprunter. Le truc où t’as juste envie d’aller choper le conducteur dans sa cabine en lui disant de se magner le cul de régler le problème de caténaire parce que tu joues ta vie dans une heure et qu’en plus tu ne sais même pas ce que c’est un caténaire mais que s’il ne démarre pas tout de suite ce putain de RER tu vas le lui faire bouffer le caténaire de la station Saint-Michel et qu’il ne pourra plus jamais faire d’annonce dans son petit micro vieillot qui grésille.
La maison des examens. Le bâtiment à l’opposé de l’entrée. Un froid de malade en ce mois de janvier 2015. Sept étages à grimper à pieds. Ok ça réchauffe c’est sûr. Mais putain sa mère sept étages quoi !! Ils ne connaissent pas les ascenseurs à la maison des examens? Ou au moins un monte charge, une grue, je ne sais pas moi mais quelque chose! Une attente interminable dans une salle sans chauffage, à discuter avec d’autres candidates qui ont toutes l’air sûres d’elles. Et tu ne sais pas pourquoi, elles te disent comment elles ont constitué leur livret 2, ce qu’elles ont indiqué dedans, et bla bli et bla bla, et là t’as juste l’impression que t’as absolument rien compris à ce qu’il fallait noter dans le dossier et que c’est mort pour toi.
La porte s’ouvre, on pointe ton nom avec ta carte d’identité. Toi t’as le droit d’aller devant le jury qui est tout au fond de la salle. Quatre femmes. Aucune ne me dit quoi que ce soit sur elle (et c’est très désagréable de t’adresser à des gens pour leur raconter ta vie quand tu ne sais même pas comment ils s’appellent !).
Vingt minutes d’oral. Des questions assez poussées. Moi avec le cœur qui bat à 300 à l’heure. Des questions. Des réponses. Y’en a qui sourient, d’autres qui font la gueule. Merde, j’ai dit une connerie ?
C’est fini. C’est fait. Il ne reste plus qu’à attendre. Partir en vacances et attendre. Une semaine de vacances en stress intérieur puissance mille.
Retour de vacances. Une grande enveloppe dans la boîte aux lettres. Le cachet du rectorat. Bordel de merde c’est la réponse ! Chéri attrape les gamines, il faut que j’ouvre cette fichue enveloppe TOUT DE SUITEEEEEE !!!
Et des larmes. Des larmes de crocodiles.
J’ai 32 ans. Un mari. Deux enfants. Un CDI à temps plein depuis quinze ans. Une vie qui n’a pas été rose tous les jours durant ces vingt-cinq dernières années. Et maintenant un BTS. Je peux aller me coucher pour dormir quarante-huit heures
d’affilée.
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thevenin (lundi, 14 septembre 2015 21:37)
Félicitations
Juliana (mardi, 15 septembre 2015 12:29)
Merci beaucoup Guillaume :-)
Alors t'es heureux ça y est je remets enfin mon blog en route, ça va te faire de la lecture, toi qui étais demandeur! J'espère que mes récits te plairont encore!
Bisous à toi et à toute ta grande famille
pistelka (samedi, 19 septembre 2015 20:52)
Félicitations, j'ai eu plaisir à lire votre blog.
Juliana (dimanche, 04 octobre 2015 14:00)
Merci Sabine. Ravie que mes petits récits de vie vous plaisent!
María (mardi, 02 octobre 2018 04:40)
Salut Jualiana,
Merci beaucoup de partager ton vécu avec des inconnus. Je vais pas faire la groupie et mentir, c’est ta seule publication que j’ai lu, mais grâce à toi j’ai une motivation de malade.
Je suis dans une période de ma vie ou je ne sais pas quoi faire et ma seule option est de rester dans le BTS ou je suis, je me dis que je n’y arriverai pas mais après avoir lu comment tu t’es battue et tout ce que t’as réussi à faire en 4 mois, ça me donne envie de casser des murs.
En espérant être aussi forte, douée et motivée que toi,
Je te fais de un gros bisou